Francazal. Que fait l’État?

Le Journal des entreprises (Haute-Garonne) du 5 février 2010

Francazal. Que fait l’État?

ajouté le 5 février 2010

Deux scenarii de reconversion de Francazal se dégagent, selon que  l'on décide de garder ou non la piste aérienne. Car qui dit piste dit  périmètre soumis à un plan d'exposition au bruit: une contrainte forte  pour l'aménagement futur du site, notamment si celui-ci prévoit du  logement (photo BA 101).

Le 31 août prochain marquera la fin de l’histoire militaire de Francazal, avec le départ des derniers personnels de l’armée de l’air. À sept mois de cette échéance, nul ne sait ce qu’il adviendra de ces quelque 290ha, au sud-ouest de l’agglomération. Deux scenarii de reconversion sont toujours à l’étude. Une décision sera-t-elle prise par l’État- propriétaire du terrain- lors du 4e comité de pilotage, repoussé à ce mois-ci?

Dossier réalisé par Aline Gandy et Marie Lepesant

24juillet 2008, la nouvelle tombe: la Base aérienne 101 Lionel de Marmier fermera définitivement ses portes en 2010. Rien de très surprenant dans un contexte général de réorganisation des armées. Ce qui l’est plus, c’est l’échéance. Deux ans pour organiser le départ des personnels civils et militaires encore présents (un millier environ dans un lieu qui en a accueilli jusqu’à plus du double par le passé); deux ans pour donner un avenir à ce site chargé d’histoire (cf. ci-contre) et bénéficiant d’indéniables atouts. Sa superficie (près de 290ha) et son emplacement en première couronne de l’agglomération toulousaine en font un territoire stratégique pour le développement du quart sud-ouest. Propriété de l’État, il est cependant à cheval sur trois communesqui revendiquent toutes un droit de parole dans la réflexion qui va s’engager.

Deux scenarii en lice
Où en est-on aujourd’hui, à sept mois de la fermeture de Francazal? «Dans une phase de réflexion et de travail sur le fond du dossier, indique la préfecture de Haute-Garonne et de Midi-Pyrénées. Nous avons besoin de temps pour étudier les différentes hypothèses et il est donc trop tôt pour communiquer.» Une réponse pour le moins laconique qui traduit bien l’embarras de l’État dans un dossier aussi complexe qu’épineux. De fait, entre rumeurs, prises de position des uns et inquiétude des autres, le climat n’est pas à l’apaisement. L’État- qui s’est engagé à favoriser la reconversion économique du site en compensation de l’arrêt de l’activité militaire- a décidé d’associer les collectivités et les acteurs concernés au processus, avec la mise en place d’un comité de pilotage, mais aussi de commander diverses études pour étayer le dossier. Autant d’éléments qui ont permis, au fil des mois, de dégager deux grands scenarii de reconversion, selon que l’on décide de garder ou non la piste aérienne de Francazal. Car qui dit piste dit périmètre soumis à un plan d’exposition au bruit (PEB), qui constitue une contrainte forte pour l’aménagement futur du site, notamment si celui-ci prévoit du logement. En résumé, soit l’État opte pour un scenario mixant habitat et activité, nécessitant un abandon de cette piste, soit il favorise l’activité aéronautique (type maintenance ou aviation d’affaires) par le maintien de la piste de Francazal. Encore faut-il, dans cette hypothèse, trouver un gestionnaire pour l’exploitation civile de cette infrastructure. Du côté de la SA Toulouse-Blagnac, logiquement préposée à cette tâche, rien ne flitre, à l’approche du prochain comité de pilotage. Prévu le 26janvier, il a été, selon nos informations, repoussé au 17février. Un report de bon augure?

Les élus locaux suspendus à la décision du préfet

La géographie de Francazal- à cheval sur les communes de Cugnaux, Portet-sur-Garonne et Toulouse- n’est pas étrangère à la complexité du processus de décision en cours.

Il est un point sur lequel les élus locaux s’accordent: ils se seraient bien passés de l’annonce de cette fermeture… Pour Thierry Suaud, maire de Portet-sur-Garonne, «tout ceci aurait pu être évité sans cette décision de l’État prise, je le rappelle, de façon unilatérale. Cela étant, nous devons maintenant avancer et je reconnais que, dans un cas comme dans l’autre, les scenarii envisagés sont cohérents.» Satisfaites d’avoir été associées aux réflexions de l’État, les collectivités entendent bien, une fois le scenario retenu, défendre leurs intérêts respectifs. «Nous avons pour l’instant un rôle d’observateur mais à même de donner des éclairages sur les problématiques d’habitat ou de tertiaire industriel. Quand un projet sera arrêté, nous aurons indéniablement notre mot à dire sur les conditions de sa mise en oeuvre», assure Claude Raynal, président délégué du Grand Toulouse. «Cette reconversion est un enjeu majeur pour rééquilibrer le développement économique, aujourd’hui essentiellement concentré sur Blagnac, Colomiers et Labège», avance le maire de Cugnaux, Philippe Guérin, qui préférerait que priorité soit donnée à l’activité économique puisque «Cugnaux dispose de 300ha de foncier pour accueillir du logement en dehors de Francazal.» Une priorité à laquelle Thierry Suaud ne s’opposerait pas, à condition que «les collectivités soient capables de s’entendre pour partager les nuisances au sol comme dans l’air, ainsi que les retombées économiques et fiscales de cette nouvelle activité.» Le maire de Portet n’ose imaginer que «l’histoire du Cancéropôle se reproduise, avec une création de richesse sur le Grand Toulouse et, au sud, un développement des nuisances liées à l’augmentation du trafic routier.»

Des études complémentaires demandées
Et d’ajouter: «Aujourd’hui, mon message est double. Quel que soit le scenario choisi, je souhaite d’une part obtenir trois compléments d’information: une étude complète sur l’impact environnemental terrestre et aérien du projet d’aménagement retenu; une évaluation des possibilités de repositionnement à Francazal des envols de Toulouse-Blagnac; un chiffrage des recettes fiscales que l’on peut attendre du scenario choisi par le préfet. D’autre part, j’annonce qu’une réunion publique sera organisée afin d’exposer aux Portésiens tous les éléments du dossier.» Sur le possible transfert de l’aviation d’affaires de Blagnac 1 vers Francazal, Bernard Keller précise: «En tant que maire de Blagnac, je n’ai jamais demandé à voir partir cette activité.» Il rappelle toutefois que «l’aéroport de Toulouse-Blagnac a des capacités de développement limitées compte tenu de sa proximité avec la métropole» et qu’il y a cinq ans «aucune étude n’a permis de trouver un nouveau site pour l’implantation d’un 2e aéroport. Pourquoi ne pas utiliser celui de Francazal à cet usage, en préservant bien sûr la qualité de vie des populations survolées?» Des arguments que l’État ne peut évidemment pas ignorer, au même titre que ceux des opposants à ce scenario, mais qui, pour l’instant, ne suffisent pas à trancher.

1911
L’aviateur Roger Morin part à la recherche d’un terrain d’envol. Son choix s’arrête sur le lieu-dit «Franc-Cazals» où il fait transporter les pièces du Blériot

1923
Inauguration du terrain de Francazal par Victor Laurent Eynac, sous-secrétaire d’État à l’Air

1924
Installation des essais en vol de Dewoitine

1933
La compagnie nationale Air France s’installe à Francazal. Elle reçoit les figures les plus prestigieuses de l’époque: Daurat, Dewoitine, Mermoz qui aurait d’ailleurs décollé pour la dernière fois de Francazal avant de disparaître en mer le 7décembre 1936. En 1933, le terrain prend un caractère mixte civil et militaire

1934
Naissance officielle de la base, arrivée de la 11e escadre de bombardement puis de la 23e escadre de bombardement

1938-1939
L’aviation civile est transférée à Blagnac

Novembre 1942 à août 1944
Occupation par les troupes allemandes. Bombardement à l’été 1944

1946
La base reçoit le centre d’instruction des équipages de transport (CIET) en provenance de Valence, avec dans ses bagages le GEJ (groupe d’entretien journalier) et le GEP (groupe d’entretien périodique), ancêtres du GERMAS (groupe d’entretien et de réparation des matériels spécialisés). Dès lors, maintenance et formation feront la renommée de Francazal

1965
Le groupement école 316 prend ses quartiers à Francazal. Il est chargé de la formation des navigateurs et radaristes de l’armée de l’air française et des navigateurs aériens pour certains pays étrangers

1985
Le GERMAS devient mixte (hélicoptères et avions) avec l’arrivée du CIEH (centre d’instruction des équipages d’hélicoptères)

1993
Le GERMAS devient l’ESTS (escadron de soutien technique spécialisé) qui sera lui-même rebaptisé ESTA (escadron de soutien technique aéronautique) en septembre 2008

2006
Le CIEH est transféré à Metz

2008
Dans le cadre de la réorganisation des armées, le ministère de la Défense fixe à 2010 la fermeture de la BA 101. En juillet, le CIET remonte définitivement à Évreux et Orléans

Septembre 2009
Dissolution de la BA 101 et transformation en Détachement air 101

15 mars 2010
Fermeture définitive de l’ESTA. Ses activités seront transférées vers le secteur civil pour une partie, vers la base aérienne d’Orange pour l’autre

30 juin 2010
Départ de l’ensemble des personnels du Détachement air 101 et mise en place d’un échelon de liquidation composé d’une quarantaine de personnes

31 août 2010
Départ de l’armée de l’air et fermeture définitive du Détachement air 101

Quelles opportunités de développement pour les PME?

Sa situation géographique, sa superficie ou encore ses constructions existantes (hangars, mess, etc.): les atouts de la base de Francazal ne manquent pas et suscitent l’intérêt de nombreux entrepreneurs. Témoignage de deux d’entre eux.

Alain Amouyal, P-dg d’Airplus Hélicoptères
Dans l’hypothèse du maintien d’une activité aéronautique sur Francazal, Alain Amouyal a déjà une idée assez précise de comment y développer sa jeune société. Créée en janvier 2009, Airplus Hélicoptères (filiale du groupe AMO) limite, pour l’heure, ses prestations à des baptêmes de l’air, du travail aérien (prise de vue ou surveillance par exemple) et de la formation de pilotes privés. «D’ici à deux mois, nous devrions être en mesure de déposer notre dossier de demande de certificat de transporteur aérien (CTA) auprès de la DGAC», précise Alain Amouyal. Une fois qu’elle aura obtenu ce «sésame», Airplus Hélicoptères pourra proposer l’intégralité de ses services allant du voyage d’affaires VIP au transport urgent de pièces ou colis, en passant par des liaisons inter-aéroports, par exemple. Autant d’activités qui nécessitent bien sûr des hangars pour stocker et abriter la flotte de machines mais aussi des bureaux pour les services administratifs et commerciaux. «L’aérogare Blagnac1 (dédiée à l’aviation d’affaires, ndlr) offre des surfaces pour se garer et pour prendre en charge des passagers mais pas pour créer un accueil VIP ni des bureaux», explique Alain Amouyal. D’où son intérêt pour la base de Francazal, idéalement située et dotée d’une piste aérienne. «Un hectare de terrain sur Francazal nous permettrait de développer toutes ces activités créatrices d’emploi et pourquoi pas d’envisager un pôle maintenance hélicoptères en se regroupant avec d’autres sociétés.» Conscient que le choix du scenario aéronautique n’est pas certain et que, quoi qu’il advienne, la reconversion de la base 101 s’inscrira dans la durée, Alain Amouyal étudie d’autres possibilités pour concrétiser son projet. Dans un premier temps du côté de Saint-Jory pour les hangars et de Muret ou Lasbordes pour la prise en charge et la dépose des passagers, puis, du côté de Blagnac si le projet Aeroscopia voit le jour.

Philippe Caekaert, dirigeant de Lherm TP
Installée depuis 1985 sur la commune de Cugnaux, l’entreprise Lherm TP se trouve un peu à l’étroit dans ses locaux. Si à l’origine, elle était dans une zone peu urbanisée, elle est aujourd’hui à proximité immédiate de quartiers d’habitation. La cohabitation devient de plus en plus difficile… Quand Philippe Caekaert, son dirigeant, a appris dans les médias la fermeture du site de Francazal, il est allé voir le maire, qui lui a exposé les différents scenarii et le commandant de la base, qui lui fait visiter le site. «Cet emplacement serait idéal tant pour notre activité que pour notre personnel. Il bénéficie notamment d’un accès pour les poids lourds et se situe à proximité des voies rapides.» Comme il souhaite rester à Cugnaux, il aimerait être fixé rapidement sur le devenir de Francazal.

Airplus : www.airplus-helico.com Lherm TP: 05.62.87.32.65

Quels débouchés pour le personnel civil et militaire de la base?

«?Il faut tourner la page, changer de paysage? chantait Nougaro...  Les mots sont parfois plus faciles à écrire que les portes à fermer,  surtout quand il s'agit d'une base de 75ans», écrit le dernier  commandant de la base, dans un ouvrage paru aux éditions Privat.

Patron de Francazal depuis juin 2008, le colonel Denis Le Meur a la lourde tâche de fermer cette base aérienne où des générations d’aviateurs se sont succédées pendant 75ans.

Des mille personnes qu’elle comptait il y a encore un an, la «cent une» en a vu déjà vu partir plus de moitié. Une situation loin d’être évidente à gérer pour le colonel Denis Le Meur, aux commandes de Francazal depuis juin 2008. Soutenu par le Pôle régional Défense Mobilité, il doit en effet trouver de nouveaux débouchés pour son personnel civil et militaire. Une large proportion opte naturellement pour une mutation vers une autre base. Mais pour les autres ? « Certains préféreront quitter l’armée. Ils ont conscience d’être très convoités pour leur grande technicité mais ils ont également reçu une éducation militaire et emploient un langage militaire qui peut parfois constituer un frein, pour un employeur potentiel comme pour eux. Mon devoir est de les aider à se projeter dans le monde civil, de les accompagner individuellement, même s’il faut pour cela inventer de nouveaux modèles. » D’où son idée d’accueillir l’événement In Recrutement organisé, le 17novembre, par le cabinet de conseilen ressources humaines Menway Grand Sud-Ouest.

L’In Recrutement, un «laboratoire expérimental»
Au coeur de ce nouveau concept: la mise en relation d’entreprises qui recrutent avec des candidats en mobilité professionnelle, comme le sont les personnels de Francazal, au même titre que de nombreux salariés du secteur privé. «J’y vois une sorte de laboratoire expérimental, un outil complémentaire à nos méthodes internes, pouvant apporter une solution à quelques-uns de mes hommes», développe le colonel Le Meur. Et qu’importe si l’In Recrutement ne se traduit pas par des embauches immédiates pour «ses hommes»: «L’intérêt majeur de ce processus est de leur permettre de se remettre en question, de se repositionner dans leur projet professionnel. C’est un très bon miroir.» Une seconde édition est d’ailleurs bientôt prévue.

www.ba101.air.defense.gouv.fr

La filière aéronautique craint une décision aux conséquences «irréversibles»

Pour la filière aéronautique, la présence d’une piste aérienne à proximité immédiate de Toulouse est «une source de richesse, d’emploi donc d’avenir.»

Plus les semaines passent, plus le dossier Francazal prend des airs de course contre la montre… Et il est vrai que ne pas prendre de décision d’ici à la fermeture du Détachement air 101, le 31août prochain, enterrerait définitivement le scénario aéronautique. Cela, nul n’ose l’imaginer au sein de la filière d’excellence de Midi-Pyrénées. «Si la piste est fermée, ce sera irréversible», insiste Jean-Marc Thomas. Et le président du pôle de compétitivité Aerospace Valley de plaider pour «une deuxième vie aéronautique du site de Francazal, créatrice d’emploi et de richesse. Elle pourrait intégrer un coeur d’activité autour de l’aviation d’affaires- plusieurs compagnies de jets privés ont d’ailleurs d’ores et déjà manifesté, par écrit, leur intérêt-, de la Défense, de Météo France mais aussi des activités complémentaires aéronautiques et para-aéronautiques telles que la maintenance, par exemple.» S’il ne juge pas infondé l’autre scenario encore en lice, Jean-Marc Thomas estime toutefois que les possibilités foncières qui existent dans le voisinage de Francazal et sur le Grand Toulouse rendent compatibles les deux projets.

Repères

– Emprise: environ 287ha, répartis entre le Détachement air 101 (250ha), le 1erRégiment du train parachutiste (RTP) et la Section aérienne de gendarmerie (SAG) – Implantation: sur les trois communesde Cugnaux (environ 50% de l’emprise totale), Portet-sur-Garonne (30%) et Toulouse (20%) – Accès routiers: le site est entouré par les routes départementales RD 15 de Toulouse à Seysses, RD 23 de Toulouse à Cugnaux et RD924 reliant la RD 15 à la RD 23 – Superficie bâtie: 11ha (8 hangars métalliques [avions et ateliers], bureaux, entrepôts, hébergement et restauration, poste de commandement, infirmerie, divers)

JDE | Édition Haute-Garonne 31 | 5 février 2010

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