Dans libération, le 16/06/1997
DHL, hôte indésirable à Belfort.Plus de 5 000 personnes ont manifesté contre la possible installation de la société de fret.
MERCHET Jean-Dominique
Belfort envoyé spécial
La piste d’aviation mesure 2 850 mètres de long mais seuls de gros corbeaux noirs s’y posent. Les 5 000 à 6 000 manifestants qui ont défilé samedi après-midi dans les rues de Belfort ne souhaitent pas que l’aéroport de Fontaine, abandonné depuis 1986, retrouve sa vocation initiale: accueillir des avions. Ils s’opposent à l’arrivée hypothétique de la société de fret international DHL, qui, après son échec à Strasbourg en septembre dernier, cherche toujours à s’implanter dans la vallée du Rhin. La direction parisienne de DHL indique qu’elle «visite» plusieurs sites dans l’est de la France et en Allemagne et qu’une décision devrait être annoncée dans «quelques semaines».
«1 000 emplois». «Non à l’aéro-Proust», scandaient samedi les manifestants, en majorité alsaciens. Ils brocardaient le nom de Christian Proust, président (MDC) du conseil général du Territoire de Belfort et principal avocat de l’aéroport, au nom des «1 000 emplois» que DHL pourrait créer. «Nous avons des atouts à faire valoir, explique-t-il. Nos salaires sont inférieurs de 10% à ceux d’Alsace.» «Et 7 000 chômeurs attendent un emploi», ajoute Christian Cuyl, président de la chambre de commerce, favorable au projet. «A 40 kilomètres de l’Euro Airport de Bâle-Mulhouse, la plate-forme de Fontaine ne peut avoir un avenir aérien que dans le fret express, assure Christian Proust. C’est une activité qui fonctionne obligatoirement H24», c’est-à-dire de jour comme de nuit.
Dans les villages du Sundgau belfortain ou haut-rhinois qui voisinent la piste, les calicots ont fleuri sur les bâtisses de grès rose et les maisons à colombages. «Pitié pour nos oreilles», «des avions comme berceuse: non merci», «avions = pollution». Depuis plusieurs semaines, la population s’est mobilisée contre l’aéroport de Fontaine. A Bretten (110 habitants), le maire Christian Poulet explique pourquoi il a décidé de fermer sa mairie pendant une semaine, comme à Eteimbes et à Bréchaumont: «Ici, nous serions dans le cône de bruit. C’est trop pour nos patelins qui retrouvaient une vie, justement à cause du calme. Les gens viennent s’installer chez nous et travaillent à Mulhouse. Et le tourisme vert commence à se développer.» «Nous ne sommes pas des nantis en train de défendre notre carré de jardin», confie Jean-Marie Tournier, un enseignant membre des Verts qui préside l’Adraf (Association de défense des riverains de l’aéroport de Fontaine). Si la perspective d’une quarantaine de mouvements aériens quotidiens au-dessus de sa maison lui donne des cauchemars «on ne s’habitue pas au bruit», il conteste surtout les arguments économiques et financiers de Christian Proust. «A Copenhague, DHL n’a créé que 160 emplois et à Bergame, 40, pour une activité comparable à celle prévue à Belfort», assure-t-il. «Ce serait essentiellement des postes de manutentionnaires, quelques heures par nuit», ajoute-t-il.
250 millions. Quant au coût de la remise en état de la piste, construite pour l’Otan dans les années 50, il est estimé à plus de 250 millions de francs. «La moitié du budget du conseil général du Territoire», s’insurge Louis Massias, industriel et maire (de gauche) d’un village voisin de Fontaine, partisan d’installer une zone industrielle classique sur les 260 hectares du site.
«Telles qu’on les prévoit, les nuisances ne sont pas un obstacle insurmontable», se défend Christian Proust, en s’appuyant sur une série d’études qui ont déjà coûté plus de 1 million de francs. Opposant volontiers les riches Alsaciens des campagnes «qui veulent imposer leur loi» aux pauvres Belfortains de la ville, le président chevènementiste du conseil général reconnaît être «dans une logique d’affrontement radical avec les écologistes». L’arrivée au gouvernement de Dominique Voynet, une Franc-Comtoise qui a passé son enfance à Belfort, ne le rassure guère: «On ne lui a pas donné le ministère du conservatisme», lance-t-il.
Patrick Benoît, animateur du collectif 68/90 contre l’aéroport, s’en prend à Christian Proust. «On a le sentiment qu’avec ce projet, il veut redorer son blason après l’affaire Gigastorage (1)», affirme ce comptable, proche de la droite locale.
Dans le bistrot de Bretten, Thierry, un jeune du pays, plaisante avec son fort accent alsacien: «Hop là! Si ça continue, on fera venir les cousins corses. 50 kilos de TNT, et il n’y a plus de piste à Fontaine.» En attendant, les jeunes filles y font du vélo.
(1) Christian Proust a été mis en examen et en détention préventive à la suite d’interrogations sur le financement public de Gigastorage, fabricant de disques durs, aujourd’hui en liquidation.